Chapitre II : Tones
Publié le 14 Décembre 2012
2.1 L’objet de lien : un jeu de construction
- Du son à l’objet
Mon projet réside dans l’introduction d’un objet didactique au sein du cours de solfège de première année. L’objet aurait pour but de palier à l’abstraction de la musique en agissant tel un chainon manquant entre la musique entendue et la partition. Il s’agit donc de matérialiser les éléments du son dans l’espace, de manière à les lier plus facilement aux éléments d’une partition. Pour ce faire, l’objet emprunte différents vocabulaires pour parler tant à l’enfant qu’au musicien en herbe.
- Du jeu de construction à l’instrument
Afin de concrétiser les notions du solfège, l’objet se doit de générer du son. Son statut est particulier puisque c’est un instrument de musique qui ne s’adresse qu’à des musiciens en devenir âgés de huit à quatorze ans. Afin de mieux parler à cette cible, l’instrument emprunte son mode d’utilisation aux jeux de construction. L’enfant est dans un vocabulaire familier, et il n’aura aucun mal à utiliser l’objet sans connaitre la musique. Le premier scénario d’utilisation serait la création involontaire d’une partition par l’enfant, par simple assemblage instinctif de pièces.
Le point crucial apporté par cet aspect de l’objet est l’accès à la composition. Un enfant que l’on dit trop petit pour composer est en revanche tout à fait capable de construire une maison en lego. Si la composition d’une mélodie s’apparentait à un jeu de construction, l’enfant pourrait enfin accéder à cette discipline.
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Afin de mieux parler aux enfants, l’instrument emprunte son mode d’utilisation aux jeux de construction.
- De l’instrument à la partition
Parmi les différentes familles d’instruments, les percussions chromatiques (xylophone, marimba, vibraphone…) me semblent le choix le plus simple et le plus stable pour définir les propriétés musicales de cet objet. La plupart des instruments de cette catégorie se présentent en un clavier sur lequel le musicien se déplace de manière non linéaire, selon la hauteur des notes qu’il choisit. Dans notre cas, l’instrument est un outil sonore pour comprendre ce lien avec la partition. Cette dernière se lit de gauche à droite uniquement. Afin de se rapprocher de l’écrit, l’objet didactique prend la forme d’un instrument linéaire. Les notes ne sont plus disposées selon leur hauteur, mais selon leur ordre d’arrivée dans la mélodie, et donc, selon leur position sur la partition.
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Le xylophone créé par Kenjiro Matsuo est un instrument linéaire conçu pour interpréter une mélodie de Bach.
2.2 Des contraintes physiques et acoustiques : le choix de matériaux
Tones est donc en partie un instrument de musique. Dès lors, de nombreuses données acoustiques s’ajoutent à l’équation et contraignent la forme. À l’enseigne des percussions chromatiques, les notes sont des tubes en aluminium, pour offrir les meilleures performances de résonance. Leur longueur est calculée mathématiquement pour obtenir la note voulue. Pour faire entrer ce tube en résonnance et générer une note, la physique des matériaux nous apprend qu’il doit prendre appui en deux points précis. Ces deux supports doivent être eux même dans un matériau non résonant. Chaque tube est donc cerclé de joints toriques en caoutchouc, disposés aux quarts extérieurs de sa longueur. Le plan de travail devra contenir une cage de résonance afin d’améliorer la portance du son. Le bois est donc le matériau idéal. Un multiplex de peuplier sera suffisamment solide et léger pour être manipulé par un enfant. Ce matériau est favorable à la découpe laser, qui apportera la précision nécessaire à des pièces de puzzle.
2.3 Les bases du solfège matérialisées
- Le plan de travail musical : la pulsation
La plus grande partie de la musique occidentale s’articule autour de la pulsation. Elle fait partie intégrante de la vie de l’enfant : depuis le pouls maternel lors de la vie intra-utérine, ou du rythme de ses pas, en passant par le rythme binaire du berceau du nourrisson. Le travail du professeur de solfège sera de conscientiser l’enfant à ce phénomène, et transformer le rythme inconscient en rythme conscient, maitrisé à la perfection. De nombreux exercices sont nécessaires, marcher en rythme, frapper du crayon, citer des exemples dans la vie de tous les jours C’est donc naturellement que l’objet didactique trouve en la pulsation sa structure fondatrice, sur laquelle viendra se greffer le rythme.
- Les éléments rythmiques
La musique occidentale décidera de quantifier la pulsation, de la diviser en éléments plus courts ou de la multiplier en éléments plus longs. La psychomotricité a déjà largement abordé le concept de dessin rythmique. Sans formation, l’enfant pourra saisir le rythme émanant d’éléments graphiques plus ou moins espacés entre eux. Nombre d’écritures musicales alternatives exploitent ce phénomène. La matérialisation du rythme dans l’espace me semble être un point capital dans la création d’un objet didactique. Ainsi, les différents éléments prennent la forme de pièces de puzzle que l’on assemblera à sa guise.
Bref Rappel : la pièce de référence valant une pulsation est appelée temps, désigné d’une note noire. La moitié de la durée de la pulsation s’appelle la croche, le quart s’appelle la double croche. On multiplie également la durée de la pulsation par deux pour obtenir la blanche et par quatre pour obtenir une pleine. Ces éléments de longueurs différentes viennent s’associer, se combiner pour créer un rythme. Ensemble, les pièces de puzzle comblent un espace déterminé. Cet espace à la valeur temporelle de 4 pulsations. En effet, le solfège regroupe les figures rythmiques par cycles de quatre temps. L’enfant pourra donc évoluer dans un espace encadré, et s’assurer d’avoir une équation rythmique toujours complète, quoi qu’il fasse. Notons que selon le style de musique, la mesure peut se composer de 2 ou 3 temps, c’est pourquoi les pièces qui délimitent l’espace imparti sont mobiles.
Le sens du rythme est l’une des notions les plus difficiles à acquérir. Pour y arriver, il faut deux aspects de l’apprentissage : l’écoute et la production. Une fois les éléments assemblés, une crête irrégulière se forme par la pointe des éléments rythmiques. En frottant son crayon le long de cette crête en dents de scie, l’enfant pourra écouter le rythme qu’il a créé, il pourra le ressentir. Il lui faudra par la suite l’interpréter. Le puzzle devient alors un instrument de percussion, l’enfant aura à cœur de battre le rythme qu’il a composé, transformant le visuel en sonore, sur fond de la pulsation dictée par le professeur.
- Les notes
Outre le rythme, une autre notion régit la composition musicale : la hauteur, c’est à dire la différence entre un son grave et un son aigu. Cette différence a elle aussi été quantifiée par des intervalles (notes) choisis par la tradition occidentale : do, ré mi, fa, sol, la et si. Le cycle recommence ensuite avec la même dénomination. S’il peut paraitre simple de différencier un son grave d’un son aigu, identifier et comprendre l’intervalle entre deux notes est un travail qui demande beaucoup d’entrainement.
Le terme de hauteur d’une note est représentatif dans le solfège : en effet, si le rythme s’écrit de droite à gauche, les notes, elles, s’écrivent de bas en haut. Elles prennent place dans une structure de 5 lignes : la portée, base de toute partition vierge. Les notes se placent sur et entre les lignes selon leur hauteur. La clé de sol est un graphisme qui s’articule autour de la ligne où se place la note sol. Elle est le point de repère qui permet de retrouver les autres. Les pièces du puzzle de Tones forment elles-mêmes la portée, qui va servir de support aux notes. Pour rappel,ces notes sont incarnées par des tubes résonnants de longueurs différentes. Plus le tube est court, plus la note est aiguë, et plus la position sur le support est haute. Le tube s’encastre dans un cran qui équivaut toujours à la position de la note sur la portée, permettant ainsi à l’enfant de faire un lien entre le son, la matière et la partition.
- Réunion des notions : pulsation, rythme et notes
Les notions de notes et de rythmes sont étudiées séparément, mais le but est bien entendu de les rassembler en accordant une note à chaque élément rythmique, afin de créer un morceau de musique.
C’est ce que propose Tones, avec la possibilité de placer des tubes entre les éléments rythmiques. On obtient alors une sorte de xylophone avec des pièces plus ou moins espacées qui suivent la logique de la partition. Pour lire le morceau, on passe une baguette sur l’objet, en faisant résonner les tubes avec plus ou moins d’écart selon leur position. Il est également convenu d’interpréter le morceau soit même, l’objet devient alors un instrument linaire de percussions chromatique.
Les notions ici abordées sont les bases auxquelles se voit confronté un enfant de première année, il apprendra plus tard l’existence d’autres clés que la clé de sol et d’autres notes comme les bémols ou les dièses.
2.4 Scénarios
Les utilisations de l’objet sont multiples. Il a le rôle d’un objet traducteur. Comme on l’a vu, on y convertit des partitions en constructions, et inversement. L’élève construit des mélodies dictées par le professeur, mais il apprendra aussi à écrire la partition correspondante à la construction.
Mais l’objet didactique a la longueur rythmique d’une mesure. Or, les morceaux étudiés en première avoisinent parfois une vingtaine de mesures successives et différentes. Le professeur délègue alors à chaque élève la construction de l’une des mesures. Les enfants auront ensuite à cœur d’interpréter leur mesure les uns après les autres sur un rythme régulier. Les objets sont ensuite alignés pour les faire résonner d’une seule traite. Ce système permet d’initier l’enfant au jeu en groupe qui est partie intégrante de la pratique musicale.
Après le cours, l’enfant devrait pouvoir reprendre son objet avec lui pour pratiquer à la maison où il pourra l’utiliser comme bon lui semble. C’est à ce moment que s’ouvre devant lui un libre accès à l’art de la composition. D’abord instinctif, il perfectionnera cette discipline à mesure que ses connaissances musicales augmentent. Le prolongement de l’objet à domicile est son corollaire numérique. C’est ce que nous allons aborder dans le chapitre suivant.
2.5 De l’acoustique au virtuel
- Un équivalent virtuel
En 2012, il serait de l’ordre du déni de mépriser l’outil numérique. Même au sein de la musique classique, la plupart des musiciens écrivent et manipulent leurs partitions sur ordinateur. L’apparition des supports tactiles offre une nouvelle vision ludique de l’initiation musicale. De manière générale, l’évolution de l’électronique a révolutionné la musique moderne. C’est pour ces raisons que Tones dispose de son équivalent virtuel. L’enfant pourra le retrouver sur le site de son académie, ou en temps qu’application en réseau. Il pourra manipuler les éléments avec la souris et entendre la mélodie qu’il compose, jouée par l’ordinateur.
- Étendre les possibilités
Pour le musicien, l’électronique apporte de nouvelles opportunités. Dans cette même logique, l’enfant accède grâce au virtuel à des possibilités que les lois de la physique endiguent grâce au virtuel. Le nombre d’instruments est illimité, ils peuvent être joués en boucle automatique, en superposition pour créer des rythmes riches et des mélodies polyphoniques. Si l’instrument physique proposé ici a un son métallique et résonnant, rien ne contraint son homologue numérique à ce timbre. L’enfant a donc le loisir d’octroyer à ses instruments le son d’une guitare, d’un piano, ou de quelque instrument qui fut la base de sa pulsion musicale.
- Cours de récréation
Si le cours de solfège contraint l’élève à des exercices précis, il peut laisser libre cours à sa créativité, une fois rentré chez lui. Dans la salle virtuelle, il peut construire, aligner et superposer différents rythmes et mélodies. L’élaboration d’une composition riche et personnelle s’apparente à l’utilisation d’un jeu de logique, accessible à un enfant.
Grâce à internet, cet espace virtuel est partageable. Tel un jeu en réseau, les enfants se retrouvent à une heure convenue. L’un propose un rythme, l’autre l’enrichit d’une mélodie. Chacun ajoute son instrument pour créer une fanfare de fortune, apprenant ainsi les premières notions du jeu musical en groupe.
- Une salle de répétition virtuelle à domicile
Au-delà de l’accès à la composition, l’homologue virtuel aurait aussi pour but de palier à l’un des problèmes les plus importants du solfège : le travail à la maison. Dans cette étape cruciale et rébarbative, l’enfant est livré à lui-même, face à ses erreurs que personne ne pourra corriger. La salle de répétition virtuelle permet au professeur de proposer des exercices à exécuter en ligne. Les assemblages des élèves lui seront ensuite retransmis et il sera en mesure de repérer les erreurs et la source des incompréhensions.